24 juin 2012
Léa, Antoine, Claire… Ils sont encore petits ou déjà adultes, et leurs parents ont divorcé il y a deux, dix ou trente ans. Nous leur avons demandé de nous raconter. L’avant-divorce, les mots qui font mal et ceux qui n’ont pas été dits, les erreurs, les maladresses, les attitudes qui blessent…
Nous leur avons proposé de laisser le champ libre aux reproches. Ils ont d’abord eu du mal à se livrer. Par peur de voir resurgir des souvenirs qu’ils ont voulu oublier. Parfois, souvent, c’est la colère qui les a submergés. « Je leur en veux de ne m’avoir rien expliqué » ; « Je ne leur fais plus confiance »…
Le divorce est toujours une épreuve, pour les parents comme pour les enfants, mais certaines règles simples peuvent empêcher d’en faire un traumatisme. Banalisé dans les chiffres (40 % des mariages se soldent par un divorce d’après les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).), les parents doivent savoir qu’il n’est pas prêt de l’être dans l’esprit des enfants.
Marianne, 27 ans : « Ils ont oublié que nous avions besoin de chacun d’eux »
« Aînée de trois filles, j’avais 12 ans quand mes parents ont divorcé par consentement mutuel. Ma mère a toujours dit à mon père qu’il pouvait venir nous voir quand il le voulait. Sauf qu’il est parfois passé devant la maison, mais ne s’est jamais arrêté. Pour les enfants que nous étions, c’était terriblement douloureux ; nous sentions qu’il ne s’intéressait pas à nous.
Dans leur tristesse, mes parents ont oublié que leurs enfants n’y étaient pour rien et qu’ils avaient besoin de la présence de chacun d’eux. J’aurais aimé qu’ils nous expliquent ce que notre avenir allait être après leur divorce, la relation qu’ils prévoyaient de vivre – ou pas – avec nous. En tant qu’aînée, il me fallait répondre aux questions de mes sœurs inquiètes et rester solide face à elles. Les adultes ont tendance
à s’inquiéter davantage pour les plus petits, en pensant que les “grands” assumeront mieux… Ce n’est pas si vrai… »
Juliette, 28 ans : « Le soir, je priais pour qu’ils ne se tuent pas »
« Mes parents ont divorcé quand j’avais 8 ans. Le soulagement, après deux ans de disputes terribles. Le soir, je priais pour qu’ils ne se tuent pas. Même si je n’ai jamais vu mes parents se battre physiquement, pour l’enfant que j’étais, deux personnes qui s’insultaient autant finiraient forcément par s’entretuer.
Alors je priais, et parfois, pensant que la disparition de l’un d’eux était inéluctable, je tentais d’imposer mon choix : “Si l’un doit mourir, je préférerais que ce soit papa.” Le lendemain, je citais maman, selon l’humeur du jour. Cela explique sans doute qu’après leur séparation j’ai tant culpabilisé.
Aucun n’était mort, mais le départ définitif de mon père revenait au même. C’était de ma faute… Je ne reproche pas à mes parents d’avoir divorcé. C’était la seule chose à faire. Mais je leur en veux de m’avoir laissé tomber pendant ces deux années. J’ai tout fait pour disparaître à leurs yeux et ils ne m’ont pas cherchée. Je leur en veux aussi de ne jamais m’avoir reparlé de cette période.
Si ma mère m’avait expliqué pourquoi cette haine et ce divorce, cela m’aurait épargné ces années à culpabiliser et à penser que j’avais “tué” mon père. »
Clotilde, 37 ans : « J’avais un sentiment de honte vis-à-vis des autres enfants »
« Mes parents ont divorcé quand j’avais 2 ans et se sont fait une guerre sans merci pendant vingt ans, à coup de procès. Je garde un souvenir d’incompréhension totale, d’abandon. De honte, aussi, vis-à-vis des autres enfants. Je n’en parlais pas, je ne pensais qu’à m’effacer. J’en veux à mes parents de ne m’avoir jamais rien expliqué et d’avoir utilisé leurs enfants comme monnaie d’échange. Ils ont tenté de diviser la fratrie, ils se sont insultés à travers nous…
Ma mère me laisse quand même une image positive : celle d’une femme qui s’est beaucoup battue pour garder ses enfants auprès d’elle. En grandissant, j’ai appris à me construire sur mes failles… Le seul point positif, c’est que j’ai su en tirer un puissant désir d’équilibre dans ma propre vie affective et familiale : je vis depuis quinze ans avec le même homme, nous avons des enfants, mais nous ne sommes pas mariés. »
Léa, 19 ans : « Mon père ne pense plus qu’à son confort »
« Mes parents sont divorcés depuis bientôt quatre ans. Mon père est parti pour une autre femme. Le plus douloureux, c’est de le voir s’en prendre à ma mère pour de l’argent ; c’est de le voir ne penser qu’à lui, qu’à son confort de vie et pas à ses enfants ; c’est de le voir embrasser une autre femme que celle avec laquelle il a passé vingt ans ; c’est de le voir ne plus me regarder avec amour…
A l’inverse, si ma mère a fait une erreur, c’est peut-être d’avoir trop pensé à ses enfants et pas assez à elle. S’il y a du bon dans ce divorce, c’est notre rapprochement et la nouvelle complicité qui nous unit, elle et moi, puis le soutien que j’ai pu trouver auprès de la famille maternelle et des amis… »
Maxime, 12 ans : « Je n’arrivais pas à imaginer ce que ça allait devenir »
« Avant, j’entendais des copains dire : “Le divorce, c’est pas si mal, tu as deux fois plus de cadeaux, deux maisons…” Mais quand ça m’est arrivé, il y a un an et demi, je me suis dit qu’ils ne devaient pas beaucoup aimer leurs parents pour dire des choses pareilles ! Moi, j’ai eu très mal !
Parce que j’étais habitué à vivre avec eux et que je n’arrivais pas à imaginer ce que ça allait devenir. Ça me faisait peur. Sur le coup, mes parents ne pouvaient pas m’expliquer, c’était trop compliqué. Ce qui est difficile aussi, c’est entre l’annonce de la séparation et le déménagement : on les voit vivre ensemble, mais on sait qu’ils sont divorcés.
Heureusement, ça n’a pas duré trop longtemps. Après, mes parents m’ont expliqué que j’allais vivre chez chacun une semaine sur deux, j’étais rassuré. Puis avec mon petit frère, on a vu qu’on n’était pas les seuls dans cette situation… On s’est bien habitués.
Si des enfants lisent cet article, je voudrais leur dire que ça fait mal au début, mais qu’il faut juste un peu de temps pour s’adapter et pour arriver à voir ce qu’il y a de bon. Moi, je suis très content de ma nouvelle vie. Nos parents s’occupent bien de nous, même séparément. »
Léna, 8 ans : « Je suis contente qu’ils se parlent bien »
« Mes parents ont divorcé quand j’avais 1 an. Avant, je demandais tous les jours : « C’est quand que vous vous remarierez ? », mais maintenant, je comprends que c’est pas vraiment possible. Puis ils ont trouvé quelqu’un d’autre, et ça tient bien.
Le problème avec les parents quand ils divorcent, c’est qu’ils veulent absolument trouver quelqu’un d’autre. Alors, quelquefois, ils consacrent plus de temps à leur vie amoureuse qu’à leurs enfants. Si j’avais un conseil à leur donner, c’est de continuer à être autant qu’avant avec leurs enfants. Et de leur laisser du temps pour s’entendre avec la nouvelle personne.
Eux, ils sont amoureux, ça leur paraît facile, mais nous, il faut qu’on s’habitue… Mais sinon, je suis contente que mes parents se parlent bien, même si je sais qu’ils s’entendent pas parfaitement, c’est important pour moi : comme ça, je peux passer des moments avec eux deux. »
Pierre-Antoine, 21 ans : « Ils ont cru faire notre bien en nous prenant pour des cons »
« Mes parents ont divorcé il y a trois ans, à la surprise générale ! Ils se disputaient très peu, même si, avec du recul, je me rends compte qu’ils partageaient peu de chose… Quelques jours après mes 18 ans, ils nous ont réunis ma sœur et moi, et ma mère nous a annoncé la nouvelle : “Nous venons de divorcer, votre père va déménager. Vous pourrez bien sûr aller chez lui quand vous le souhaiterez.”
L’horreur. Je croyais que c’était une blague ou un cauchemar. Ma sœur a demandé des explications et ils ont répondu, calmement, que cela faisait plus de cinq ans qu’ils y pensaient, mais qu’ils attendaient qu’on soit “grands”. En gros, c’était mon cadeau pour mes 18 ans…
Ils ont cru nous “protéger” : tu parles ! J’aurais préféré qu’ils aient passé des années à s’engueuler avant. Là, j’avais l’impression d’être pris en traître. Ç’a été ça, leur plus grosse erreur : de croire faire notre bien en nous prenant pour des cons. Je ne leur fais plus confiance, je les vois très peu ; en tout cas, je refuse de les voir ensemble, comme ils l’ont plusieurs fois proposé, pour Noël et pour mon anniversaire : ça serait comme collaborer à leur jeu pitoyable de la famille. »
par Anne-Laure Gannac
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